Sur la route

Nouvelle rédigée par Anaïs et Violette dans le cadre d'un 
concours de nouvelles au sein de leur classe de seconde.


           Benjamin Nude faisait les cent pas dans sa chambre. Il était environ vingt-deux heures et il venait de se disputer violemment avec ses parents. Le jeune homme s’assit sur son lit et laissa retomber son visage entre ses mains pour tenter de calmer la foule de pensées qui se bousculaient dans sa tête. Depuis plusieurs mois, il se querellait avec ses parents car ils estimaient qu’un garçon de dix-neuf ans devait travailler ou au moins poursuivre ses études. Ils ne supportaient plus de voir leur fils traîner sans but à longueur de journée. Mais ce soir, c’était allé plus loin qu’une simple dispute. Les parents de Benjamin l’avaient menacé de le mettre à la porte s’il n’avait toujours pas d’occupation dans les mois qui suivaient.
Cette soudaine pression lui donnait la nausée. Qu’avait-il bien pu faire pendant un an ? Il avait beaucoup travaillé pour son bac qu’il avait obtenu avec brio, puis il en avait eu assez. Il avait cessé toute activité cérébrale intense.
Benjamin avait mal au crâne. Il avait envie de sortir, de prendre l’air. Cette chambre qu’il occupait depuis des années devenait brusquement étouffante. Il se leva en hâte et se précipita à la recherche de son téléphone. Il fouilla dans ses affaires pendant une bonne minute puis composa sans hésiter le numéro d’Adam, un bon ami en qui il avait confiance :
« Allô, Adam ? C’est Ben.
- Salut… Tu as l’air épuisé. Ça va ?
- Hmm. Pas très bien. Je me suis encore engueulé avec mes parents… J’ai besoin de prendre l’air. Tu veux pas qu’on sorte quelque part ?
- Bon ok, si tu veux. Tu passes me chercher ?
- D’accord, je suis là dans environ une heure.
- A tout à l’heure. »

Adam habitait un petit village loin de chez Ben, et n’avait pas de voiture. Benjamin faisait donc beaucoup de route avec sa ford qu’il ne possédait que depuis quelques mois, mais ça ne le dérangeait pas. Lorsqu’il était au volant, il se sentait libre. Cette fois-ci, le trajet passa lentement. Des pensées désagréables le harcelaient, et il avait la drôle d’impression qu’il allait finir sa vie sans rien à faire.
Une fois qu’il fut arrivé, Ben fit part de ses inquiétudes à son ami avec lequel il partageait tout. Celui-ci l’écouta avec attention et décréta qu’il devait se changer les idées. Benjamin protesta en lui avouant qu’il n’avait pas envie de voir du monde. Adam réfléchit un instant.
« Tu veux qu’on aille faire un tour en voiture ?
- Non, j’ai envie de marcher, affirma Ben. »
Ils marchèrent donc une demi-heure puis Adam manifesta des signes de fatigue. De toute façon, Benjamin aussi se sentait fatigué mais cette petite promenade lui avait remonté un peu le moral. Il remercia son ami et s’en alla.

Benjamin, au volant de sa voiture, regardait les lampadaires défiler sur le côté de la route. La lumière formait de longues traînées dorées sur le pare-brise. Il fut envahi par un sentiment de paix.
A peine cette pensée lui vint-elle à l’esprit qu’il sentit que la petite ford se mit à ralentir et à tousser. Le jeune homme perdit toute notion de paix et paniqua. Il jeta un coup d’œil au voyant d’essence. Il clignotait d’une lueur rouge alarmante. Benjamin, pris de fureur, se rappela que ses parents avaient refusé de lui donner le moindre centime pour l’essence. Il frappa du poing le tableau de bord de bord en psalmodiant des injures.
L’inévitable arriva : la voiture s’arrêta complètement. Machinalement, il chercha son portable. Où était-il ? Il regarda sous tous les sièges, chercha plusieurs fois dans ses poches mais en vain. Décidément, il n’avait pas de chance ce soir ! Il sortit du véhicule en claquant la portière. L’air sec et froid lui fouetta le visage. Benjamin regarda autour de lui. Il ne savait pas vraiment où il était. Pourtant il prenait régulièrement cette route mais il avait dû s’égarer car il ne faisait pas attention, perdu dans ses rêveries.

Il se mit sur le côté de la route, à l’abri, et s’assit dans l’herbe. Là, dans l’étrange calme de la nuit, il réalisa à quel point il était seul. Que faire ? C’était la nuit, aucun garage n’était ouvert et tout le monde dormait. Quelques voitures passaient encore mais elles se faisaient rares. Benjamin resta assis dans l’herbe quelques minutes, au bord du désespoir, lorsque soudain il entendit de la musique. Il se redressa, intrigué, tandis que la musique se rapprochait. Il ne tarda pas à voir d’où elle provenait. Un van Volkswagen comme on pouvait en apercevoir dans les années 70 s’arrêta devant lui.
La fenêtre côté passager s’abaissa, découvrant un jeune homme d’une vingtaine d’années portant les cheveux longs. Il s’adressa à lui d’un ton sympathique :
« Salut ! On dirait que t’as des ennuis toi… »
Benjamin le fixa quelques secondes, puis répondit en souriant :
« Euh… Oui, on dirait bien !
- Tu vas où comme ça ?
- Je comptais rentrer chez moi, j’habite dans le centre d’Avranches…
- Oulà, c’est pas tout près ! Il y a au moins… »
Le jeune homme se tourna vers la conductrice, une jeune femme aux longs cheveux blonds ondulés, comme pour solliciter son avis.
«… Oui, il y a bien une heure de route ! On peut t’aider ? »
Le visage de Benjamin s’éclaira. La voilà, sa solution ! Bien sûr, il restait le problème de sa voiture. Comment allait-il la ramener ? Il pouvait toujours appeler un dépanneur le lendemain, mais il craignait quand même pour son véhicule. Il réfléchit un moment. Il n’avait pas vraiment le choix… Il accepta donc que les deux baba cool l’emmènent. L’homme lui ouvrit la portière et lui fit place sur la banquette. La musique envahissait le van et il sentait les pulsations se superposer aux battements de son cœur. C’était une chanson très connue de Jimmy Hendrix. La jeune femme parla en première :
« Je m’appelle Béa, et voilà Gilles. Et toi ?
- Benjamin.
- On va à une fête, pas loin de Caen. Ça te dirait de venir avec nous ? Les groupes qui y jouent son vraiment bons. 
- Je… Non, je suis fatigué, je préfère rentrer.
- Ok, alors on va à Avranches, c’est ça ?
- Oui, oui voilà.
A ce stade de la conversation, le dénommé Gilles se mit à chanter et Béa l’accompagna. Ils fumèrent  quelque chose qui n’était sûrement pas du tabac et en proposèrent à Ben. Il haussa les épaules et prit ce qu’on lui tendait. Il ne resta pas longtemps éveillé. La fumée l’envoûtait, il s’assoupit rapidement.

Quelques minutes plus tard, lui semblait-il, il se réveilla. Le van était à l’arrêt. Benjamin regarda autour de lui. Il se rendit compte avec surprise que les deux hippies n’étaient plus là. Il sortit du véhicule et se rendit dans une salle devant laquelle était garés d’autres vans et voitures. A l’intérieur, un grand nombre de personnes étaient rassemblées devant une petite scène. Benjamin se mit à chercher du regard Béa et Gilles, mais c’était sans espoir. Il y avait trop de monde, trop de fumée. Benjamin se demanda ce qu’il pouvait bien faire ici. Quel était cet endroit ?
Il avança, à la recherche de quelque chose ou quelqu’un qui pourrait le sortir de cette impasse. Soudain, un brouhaha anormal monta dans la salle. Le groupe s’arrêta de jouer. Le chahut se répandit dans toute la salle. Tout le monde se demandait ce qui se passait, surtout Benjamin, jusqu’à ce qu’il intercepte une conversation :
« … ça vient de la cave ! Les tuyaux étaient usés et ils viennent de céder. Si on ne fait rien, on risque l’inondation dans un bon quart d’heure… »
Benjamin avait l’impression de ne pas être concerné. Il voyait tout le monde affolé et cherchant une solution, aucun plombier n’étant disponible de nuit. Puis subitement, un homme tout près de lui qui avait aussi entendu la conversation l’accosta :
« Moi je suis plombier ! Je peux empêcher l’inondation dans l’urgence mais il me faut des outils. Je peux aller les chercher mais seulement, j’ai besoin d’un assistait. Il faudrait que tu m’aides, tu as l’air plutôt dégourdi. »
Benjamin le regarda avec des yeux ronds. Que voulait-il qu’il fasse ? Il réfléchit rapidement. C’était une drôle de coïncidence, étant donné que lorsqu’il était au collège, il voulait être plombier pour manier de vraies clés à molette, pas les fausses qu’il avait eu en cadeau lorsqu’il était enfant. Cette pensée le fit sourire et il se dit qu’après tout, il ferait une bonne action… Il accepta.
L’homme acquiesça de satisfaction. Il lui fit signe de le suivre. Les deux individus sortirent ensemble. Benjamin suivit l’homme jusqu’à une voiture légèrement cabossée. Ils montèrent à l’intérieur et l’homme fonça jusque chez lui. Là, il se saisit de ses outils en quelques secondes et repartit aussi vite. En une bonne demi-heure, ils avaient fait l’aller-retour.

Ils se dépêchèrent d’entrer dans la salle, tandis que l’homme demandait la direction de la cave. Ils s’y rendirent en hâte. La pièce était inondée d’environ cinquante centimètres. Le plombier grogna puis s’engagea dans l’escalier. Malheureusement, les plombs avaient sauté, il faisait très sombre. L’homme farfouilla dans sa caisse à outils et trouva une petite lampe de poche qu’il confia à Benjamin. Celui-ci éclaira la pièce, cherchant d’où venait la fuite. Il la trouva assez rapidement et l’indiqua au plombier.
L’homme s’installa comme  il put devant le tuyau endommagé. Une vis était simplement partie. Mais l’eau coulait à flots, et la pression avait déformé le tuyau. Il fallait remplacer le morceau de métal accidenté. L’expert envoya Benjamin chercher de l’aide. Il se précipita dans les escaliers mais à peine était-il arrivé en haut que le plombier lui cria :
« Laisse tomber gamin ! Il y a trop d’eau ! »
Benjamin hésita une seconde puis il revint auprès de l’homme. Il demanda au plombier comment il pouvait l’aider. Celui-ci expliqua qu’il fallait stopper le flux d’eau pendant l’intervention. Il désigna un robinet. Benjamin le tourna jusqu’à ce que plus une goutte de coule. Puis, à la demande de l’homme, il dirigea la lumière de la lampe torche vers le tuyau.
Le travail qui s’en suivit fut une véritable coopération entre les deux hommes. Benjamin passait les clés au plombier, éclairait le tuyau de la lampe torche, suivait les instructions à la lettre. Lorsque, au bout d’un long moment de travail acharné, ils eurent enfin terminé, les lumières furent rallumées et le concert reprit comme s’il n’avait pas été interrompu.

L’homme sourit à Benjamin. Il le remercia chaleureusement, et demanda par politesse s’il pouvait faire quelque chose pour lui. A ce moment-là, tout lui revint en mémoire. Il se rappela subitement que lui aussi avait une vie, et pourquoi il était ici. Il gigota, mal à l’aise. Et si cet homme était la solution ?
« Eh bien en fait… Vous pourriez me rendre un service. Je n’ai pas de voiture et je dois rentrer chez moi, à Avranches. Ne pourriez-vous pas m’avancer ? »
L’homme fit une mine désolée :
« Oh je peux t’avancer un peu, mais de là à aller jusqu’à Avranches, je ne peux pas t’emmener jusque-là, je rentre chez moi. »
La musique commençait à lui plaire et l’ambiance aussi… Les gens présents vivaient, bougeait, riaient, chantaient…  Il avait perdu l’habitude de la foule et ce sentiment retrouvé lui donnait une drôle de sensation au creux du ventre. Il réfléchit un moment… Non, il fallait qu’il rentre chez lui. Personne d’autre ne voudrait le conduire plus tard et il fallait saisir l’occasion.
« Je veux bien que vous m’avanciez, déclara Benjamin. Merci. »
Ils se mirent donc en route après que le plombier eut salué ses amis. Pendant le voyage, Benjamin se remémora les péripéties de la soirée. Tout ça s’était passé si vite ! Il n’avait rien contrôlé. Il se rappela aussi la dispute avec ses parents. Ils voulaient qu’il reprenne ses études ou qu’il trouve un travail. C’est vrai qu’il avait aimé aider le plombier mais il ne voulait pas en faire son métier : l’eau le dérangeait et puis tout de même, il avait évolué depuis qu’il avait eu cette idée.
Le bruit du moteur le berçait et il commençait à s’endormir. Ils apparurent enfin à la lisière d’une forêt. Le plombier s’arrêta devant une petite maison isolée, celle où il s’était arrêté pour aller chercher ses outils.
« Je m’arrête ici. Tu peux continuer à faire du stop, il n’y a pas de danger dans les alentours. 
- D’accord… merci », répliqua Benjamin pas très convaincu. 

Il se dirigea en direction du bois car il avait repéré un camion garé dans l’allée avec les phares allumés. Un hibou hululait doucement dans le silence de la nuit et on entendait le bruissement des arbres se balancer dans le vent. Il était vraiment fatigué maintenant, et il espérait que quelqu’un serait dans le véhicule. Il s’approcha… Personne à l’intérieur et personne aux alentours. Soudain, il entendit un cri qui venait de derrière les arbres et deux secondes plus tard, une femme de cogna à lui. Prise par l’élan, elle le fit tomber et les deux jeunes gens se retrouvèrent par terre, l’un sur l’autre. Une horde de sangliers passa juste à côté d’eux. La fille se redressa et éclata de rire. Benjamin fit de même. Leur fou rire dura quelques secondes et ils se calmèrent enfin. Il se leva, aida la jeune femme et lui demanda :

« Que s’est-il passé ?
- C’est une situation un peu embarrassante… avoua-t-elle dans un petit rire nerveux. Je suis routière et le voyage est long… J’avais une envie pressante… Vous devinez la suite..
- En effet, je la devine. » Et il s’esclaffa de nouveau.
« Et vous, que faites-vous dans cette forêt en plein milieu de la nuit ?
- C’est une longue histoire… Mais en fait, je chercher quelqu’un pour me ramener chez moi, à Avranches. Où allez-vous ?
- Je me rends au mont St-Michel, Avranches est sur ma route. Je peux te prendre si tu veux. Ça ne te dérange pas que je te tutoie ?
- Non, pas du tout. En tout cas, je veux bien que tu me ramènes ! »
La fille sourit.
« En route ! »

Ils montèrent dans le camion et partirent tout de suite. L’intérieur était décoré de plusieurs photos amusantes et de bricoles qui rendaient le véhicule plutôt confortable. Au bout d’un moment, Ben lança :
« Je ne t’ai même pas demandé ton nom…
- Je m’appelle Lucie.
- Moi c’est Benjamin. J’ai eu dix-neuf ans il y a un mois. Et toi, t’as quel âge ?
- Vingt-quatre. Tu es étudiant ?
- Je ne fais rien depuis un an. J’ai eu mon bac avec mention mais après, je ne sais pas ce qui m’a pris… Je ne voulais plus rien faire, je ne sortais plus, je passais mes journées à rester dans ma chambre à jouer à la console, à regarder la télé… Et hier soir mes parents m’ont menacé de me mettre à la porte si je ne bougeais pas ! Je ne sais pas quoi faire…
- Moi, j’adore mon métier. Je suis vraiment libre. C’est vrai qu’il y a des heures très précises à respecter et qu’il faut souvent rouler de nuit mais j’aime conduire. Ça peut paraître étrange mais c’est en quelque sorte ma passion. Je vois beaucoup de paysages, je voyage à travers plusieurs pays comme l’Espagne, l’Italie, la Suisse, l’Allemagne et je rencontre beaucoup de gens », lui confia Lucie.
On commençait à voir apparaître une lueur rosée à l’horizon.
« Hmm… Je n’y avais jamais songé auparavant… Routier… »

Benjamin, qui s’était endormi, fut réveillé par une légère secousse. Lucie le remuait doucement.
« Je viens de prendre la sortie d’Avranches. Je vais avoir besoin de ton aide. Tu as bien dormi ? 
- Euh… Oui, oui merci » grommela Benjamin.
Il se redressa sur son siège pour observer le paysage. Une vague de soulagement le submergea lorsqu’il reconnut les environs. Ils ne se trouvaient plus très loin de chez lui, maintenant.
Benjamin informa Lucie du chemin à prendre, et un quart d’heure plus tard, le camion se garait devant la maison du garçon. Il la regarda avec un mélange de soulagement et d’appréhension. Enfin, il était chez lui, mais il allait devoir affronter les multiples questions de ses parents. La voix de Lucie le tira de ses pensées :
« Bon ben… Salut ! »
Benjamin se retourna vers elle. Il lui sourit et l’embrassa sur les deux joues.
« Merci beaucoup, Lucie… Sans toi, je ne sais pas où je serais en ce moment !
- Oh, tu serais sûrement en train de geler à l’orée d’un bois, à l’affut des sanglier », plaisanta-t-elle.
Benjamin sourit.
« Bon, cette fois-ci j’y vais vraiment.. », fit-il en ouvrant la portière.
«  Attends. »
Lucie fouilla dans ses affaires puis en sortit un papier et un crayon. Elle se mit à noter des chiffres, et inscrit un petit mot juste à côté. Elle le tendit à Benjamin :
« Au cas où tu aurais envie de m’appeler… Tu sais, si tu veux des renseignements sur le métier », fit-elle avec un grand sourire.

Puis elle ferma la portière derrière lui et démarra son engin. Il la regarda s’éloigner en la saluant de la main jusqu’à ce qu’elle soit hors de vue et rentra chez lui. Ses parents l’attendaient, inquiets. Il leur expliqua qu’il ne lui était rien arrivé de grave et qu’il avait eu l’occasion de réfléchir à leur dispute pendant toute la nuit mais il ne voulait pas en parler tout de suite. Il était exténué. Ses parents l’embrassèrent et il monta se coucher. Une fois dans son lit, il regarda le petit bout de papier… Demain, il saurait quelle est la route à prendre…

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